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Comment la créativité peut-elle devenir un pont, nous portant de notre propre imagination vers une empathie plus profonde envers les autres?

Par Marcia Banks

Relier imagination et empathie : comment la créativité peut nous rapprocher

Cet article pour Le Pôle est né d’une récente conversation avec Sam Lohman de The Art Association (TAA), une organisation suisse à but non lucratif engagée dans la promotion de formes d’échange pacifiques à travers les arts. Je suis reconnaissante d’avoir pu explorer ces idées avec Sam, et de l’encouragement qu’il m’a offert pour approfondir ma réflexion sur la manière dont la créativité peut aider les élèves à mieux se comprendre. Les titres des sections s’inspirent des questions qu’il m’a partagées lors de notre entretien.

Pour en savoir plus sur TAA : theartassociation.ch** ** L’entretien complet est disponible sur la chaîne YouTube de TAA et sur Instagram **:** @theartassoc**.**

Comment la créativité peut-elle nous relier ?

Raconter une histoire, interpréter une scène de théâtre ou collaborer sur un projet invite les auditeurs, les spectateurs et les co-créateurs à voir le monde à travers les yeux d’un autre. Dans ces moments de rencontre, les différences s’estompent et l’essentiel apparaît : notre humour, notre capacité d’aimer, notre rire partagé, et ce désir universel d’être compris et reconnu. La créativité peut réveiller l’imagination et c’est l’imagination qui permet à l’empathie de grandir.

Dans la pratique, cette connexion surgit souvent de gestes simples : un éclat de rire autour d’une idée ludique, ou une équipe qui crée avec l’espoir de susciter une émotion précise chez son public. L’acte créatif devient alors un pont, reliant une perspective à une autre et révélant ce que nous partageons d’humain.

Quelles conditions permettent à la créativité de s’épanouir ?

La confiance

La créativité naît et s’épanouit là où règne la confiance : un espace où l’on peut prendre des risques, commettre des erreurs, et considérer l’échec non comme une honte mais comme une source d’apprentissage.

Dans un environnement collaboratif, la créativité devient un chemin vers l’empathie. Elle permet de comprendre la perspective d’autrui, de travailler ensemble de manière plus profonde, et d’imaginer de nouvelles façons d’être ensemble. La confiance forme la base :

  • de la créativité,
  • du travail d’équipe,
  • du dialogue pacifique.

La confiance en soi donne le courage d’imaginer et d’agir, cette conviction discrète : « Je peux apporter quelque chose. » La confiance en l’autre permet de partager, de transformer et d’enrichir les idées. En équipe, elle transforme les divergences en occasions de collaboration plutôt qu’en compétition.

La liberté d’échouer est également indispensable. Je l’ai constaté encore et encore dans les équipes **d’Odyssey of the Mind (https://odysseyofthemind.com), où les élèves apprennent la résilience par essais et erreurs, gagnent en assurance par la persévérance, et découvrent que les idées les plus inattendues mènent parfois aux plus grandes réussites. Dans un article pour Le Pôle, Empowering Youth for a Positive Future (https://lepole.education/en/post/success-stories/odyssey-of-the-mind-world-finals/), j’expliquais comment ce programme illustre parfaitement le pouvoir de l’imagination, du travail en équipe et de la confiance pour permettre aux jeunes de créer, collaborer et grandir ensemble.

La curiosité

Mon ami, l’artiste Antonio Natale, croit que la curiosité est le cœur battant de la créativité. Elle nourrit la quête de vérité, et il l’exprime dans son art. En septembre 2024, il m’a accordé un entretien pour Le Pôle sur le thème :How an Artist’s Expression Might Inspire Others to Act with Kindness or Work Towards Peaceful Solutions (https://lepole.education/en/post/research/interview-antonio-natale/).

Il y évoque le pouvoir de l’art d’inspirer et de provoquer le changement, rappelant notamment le rôle de Guernica de Picasso, qui dénonçait les horreurs de la guerre. Il insiste également sur l’importance de l’empathie dans l’art : un artiste doit créer un lien avec son public pour que son message soit véritablement reçu.

La créativité, accompagnée d’un esprit curieux, est, à sa base, un processus social fondé sur la confiance et la sécurité émotionnelle. Lorsqu’on invite les gens à penser de manière créative, ils apprennent les mêmes compétences qui rendent la paix possible : empathie, courage et confiance.

La créativité et le marché du travail d’aujourd’hui

Nous naissons tous avec une imagination fertile ; enfant, la créativité s’exprime sans effort. Mais comme l’a brillamment souligné Sir Ken Robinson dans sa célèbre conférence TED de 2006 « Do Schools Kill Creativity ? », notre système éducatif et nos normes sociales tendent souvent à l’étouffer en grandissant.

Pour que la créativité s’épanouisse, il faut des espaces où l’imagination est encouragée, soutenue et valorisée.

Dans un entretien que j’ai mené en 2023 pour Le Pôle avec le Dr Jim Mourey How Do Constraints Positively Impact Creativity? (https://lepole.education/en/post/pedagogical-culture/how-do-constraints-positively-impact-creativity/) il décrit la créativité comme le moteur de l’innovation, notamment dans les technologies émergentes.

Aujourd’hui, de nombreux employeurs recherchent des personnes capables de penser de façon créative et innovante, et de résoudre des problèmes complexes. Dans Is Creativity A Soft Skill? (https://lepole.education/en/post/classroom-practices/is-creativity-a-skill/), l’auteur Tony Wan observe que la créativité figure désormais parmi les compétences transversales les plus recherchées.

Comment l’art peut-il inspirer la paix ?

L’art, sous toutes ses formes, est un langage de connexion. À travers les récits, les chansons, les œuvres visuelles ou les performances, les artistes aident les autres à percevoir l’humanité dans toute sa diversité. L’art peut éveiller la compassion, transformer la méfiance en curiosité, et remplacer la distance par un sentiment de partage.

Bien sûr, l’art peut aussi diviser ou provoquer. Il peut blesser autant qu’il peut guérir. Mais lorsqu’il est abordé avec empathie et intégrité, il devient un pont permettant de nous reconnaître les uns dans les autres.

Je pense au travail de Pierre Dulaine, danseur de renommée internationale et fondateur de Dancing Classrooms (https://www.dancingclassrooms.ch), qui promeut le développement social et émotionnel par la danse. J’ai eu la chance de le rencontrer à Genève lorsqu’il travaillait avec divers groupes pour encourager la danse de couple dans les écoles et les cliniques. Je vous invite à découvrir Dance with Me, une initiative de Dancing Classrooms à la Clinique La Métairie, à Nyon : https://www.dance-with-me.org/en/home https://www.dance-with-me.org/en/our-projects/dancing-communities-en/dancing-communities-at-the-clinic-la-metairie

Lors de notre rencontre, Pierre m’a parlé de son enthousiasme pour un projet qu’il lançait alors en Israël et à Jaffa, sa ville natale : une expérience unique visant à rapprocher jeunes Palestiniens et Israéliens grâce à la danse de couple. Ce projet a donné naissance au documentaire Dancing in Jaffa.

(https://shineglobal.org/project/dancing-in-jaffa).

La règle était simple : lors de la finale, les partenaires de danse devaient appartenir à des communautés opposées. Au début, les enfants riaient nerveusement, évitaient les regards, refusaient de se toucher. Puis, quelque chose a changé. Pierre disait: « Quand on tient la main de quelqu’un, on ne peut pas le détester. »

La piste de danse est devenue un microcosme de coexistence. Danser ensemble n’a pas effacé le conflit, mais cela a créé une victoire symbolique et précieuse.

L’art pour la paix ne dépend pas de gestes grandioses. Il repose sur la création d’espaces où l’on peut se rencontrer en égaux : danser, rire, jouer, créer ensemble.

Que pouvons-nous faire pour renforcer l’impact de la créativité au service de la paix ?

L’un des pouvoirs de la créativité est sa capacité à transformer notre manière de percevoir les problèmes. Et si, au lieu de parler de haine ou de cruauté, nous parlions d’empathie oubliée ? Et si chaque acte créatif devenait un rappel de notre humanité commune ? Les arts pourraient-ils nous aider à pratiquer l’empathie plutôt qu’à seulement en parler ? Les petits gestes créatifs pourraient-ils offrir des victoires significatives dans des communautés divisées ? Que se passerait-il si, avant de débattre de nos différences, nous commencions par créer quelque chose de beau ensemble ?

Prenons l’exemple du Danemark, où l’éducation fondée sur l’empathie (https://www.adeccogroup.com/future-of-work/latest-insights/empathy-in-denmark) fait désormais partie intégrante de l’apprentissage dès la petite enfance. Cette évolution a demandé un effort créatif : imaginer un modèle nouveau, qui, aujourd’hui, paraît évident. D’autres écoles adoptent également des programmes tels que Roots of Empathy (https://rootsofempathy.org) ou The Natural Roots of Empathy. (https://www.neufeldinstitute.org/our-courses/natural-roots-of-empathy#node_n_lpF5tTi2S0aDx5qX).

La créativité, les arts et l’engagement pacifique partagent les mêmes racines : imagination, curiosité, confiance et courage de regarder le monde autrement.

La créativité peut être envisagée comme un processus social positif, où chacun se sent libre de demander de l’aide, de rester curieux de ce que les autres peuvent offrir, et de renoncer à l’idée qu’il doit forcément y avoir un « meilleur » concept pour lequel on devrait se battre.

En nourrissant notre capacité à penser de manière créative, individuellement et collectivement, nous protégeons notre humanité commune et ouvrons la voie à des façons d’être ensemble plus empathiques, plus innovantes et plus pacifiques.