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Recherche scientifique

Questions au professeur David Sander

Directeur du Centre Interfacultaire des Sciences affectives (CISA)_

Entretien en vidéo avec le Professeur David Sander


Neurosciences

Photographie : © CISA - Sophie Jarlier

Q : On parle beaucoup ces dernières années de neurosciences. Pouvez-vous définir en quelques mots ce que sont les neurosciences ?

DS : Que sont les neurosciences ? Il y a au moins deux manières de définir ce que sont les neurosciences. La première est de définir les neurosciences par le fait que le cerveau soit un objet d’étude en tant que tel ; dans ce cas-là, un neuroscientifique peut être défini comme quelqu’un qui a comme objet d’étude le cerveau et veut comprendre la structure et le fonctionnement du cerveau. Cela correspond à la première manière générale de définir les neurosciences.

La deuxième consiste à définir les neurosciences par le fait qu’elles correspondent à une approche, une discipline, un domaine, ou même une perspective : dans ce cas-là, on peut par exemple s’intéresser à la psychologie en général avec une approche neuroscientifique. On peut ainsi s’intéresser à la manière dont notre cerveau permet la perception, l’attention, la mémoire, les formes d’apprentissage, le langage, le raisonnement, la prise de décision, et, bien entendu, les émotions.

L’idée peut donc être d’essayer de comprendre la complexité des phénomènes psychologiques en s’intéressant au cerveau, parce que l’on a bien conscience évidemment que les processus psychologiques prennent place dans une architecture complexe qui est celle du cerveau. Mais dans ce cas-là, l’objet d’étude lui-même n’est typiquement pas le cerveau, mais cela peut être la mémoire, l’émotion, la prise de décision, et, comme cela est le cas de plus en plus, l’apprentissage scolaire, dans une perspective neuroscientifique.

Q : Quels sont les éléments les plus marquants d’après vous qui font qu’on parle tant des neurosciences ces dernières années ?

DS : La recherche en neurosciences a énormément évolué depuis peut-être 10 à 15 ans, notamment en ce qui concerne son impact sociétal et l’intérêt que les citoyens accordent à l’étude du cerveau. Cela fascine beaucoup de gens, et ils ont raison d’être fascinés ! Il y a certainement plusieurs raisons à un tel engouement. Une raison est assez méthodologique, je pense, c’est à dire que depuis peut-être 20 ans, se sont développées les techniques qui permettent de mesurer l’activité du cerveau, de manière non invasive ; par exemple, l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle est une méthode fascinante qui permet aux chercheurs d’analyser les régions du cerveau qui sont impliquées dans telle perception, dans telle émotion, dans telle prise de décision, dans telle forme d’apprentissage…

Les chercheurs ont maintenant des modèles de comment fonctionne le cerveau et le fait de voir le cerveau en activité, à mon avis, explique en partie cette passion qu’ont les gens pour le cerveau. Une autre raison vient du fait que des gens qui ont des lésions cérébrales assez spécifiques ont des problèmes psychologiques et comportementaux assez spécifiques, tout à chacun se rend donc compte que l’on peut faire le lien entre certaines régions du cerveau et certains problèmes psychologiques, ou comportementaux ; chacun réalise donc cette relation assez directe qu’il y a entre la complexité humaine et la complexité du cerveau.

Il y a ces aspects méthodologiques mais aussi l’aspect explicatif, c’est à dire qu’on a l’impression qu’une fois qu’on aura compris vraiment le fonctionnement du cerveau, on aura compris beaucoup de choses sur la nature humaine, sur l’esprit humain, sur les interactions sociales, ou encore sur les situations d’apprentissage.

Donc toutes les situations humaines ont évidemment une contrepartie dans l’activité du cerveau et on a maintenant beaucoup d’outils pour essayer de la mesurer. D’où la fascination que je pense qu’on a un peu tous pour le cerveau.


CISA

Q : Vous êtes le directeur du Centre Interfacultaire des Sciences affectives. Qu’est-ce qu’on y fait exactement ?

DS : Le Centre Interfacultaire en sciences affectives - le CISA - est un Centre de l’Université de Genève qui accueille le Pôle de recherche national en sciences affectives. Le terme « sciences affectives » signifie que l’on étudie l’affect, c’est-à-dire tous les phénomènes affectifs, les émotions principalement mais également les autres phénomènes affectifs tels que les humeurs, les préférences ou encore les motivations, avec l’aide de tous les domaines académiques pertinents. Par exemple, notre centre regroupe des recherches en psychologie, neurosciences, philosophie, littérature, économie, et informatique.

Notre centre est très inclusif parce que nous avons bien compris que pour vraiment comprendre un phénomène aussi complexe que l’émotion, un grand nombre d’approches sont utiles. Parmi nos objectifs, nous pouvons citer ceux de comprendre comment les émotions sont déclenchées, de comprendre ce qui se passe dans notre organisme lorsque nous avons des émotions, de comprendre comment l’on peut réguler, les émotions, de comprendre les effets de l’émotion sur d’autres cognitions comme par exemple la mémoire, l’attention, l’apprentissage, ou la prise de décision. Pour cela, nous essayons de bénéficier de toutes les méthodes qui sont actuellement disponibles en neurosciences et en sciences humaines et sociales.

Q : En tant qu’enseignant, éducateur, quelles sont les domaines, les grands pans des recherches en neurosciences qui nous concernent directement ou indirectement ?

DS : Alors, bien entendu, les recherches qui sont faites en sciences affectives, en sciences cognitives, en neurosciences ont une application potentiellement majeure sur de grands domaines de la société. En particulier, le domaine de l’école peut et pourra énormément bénéficier de recherches qui sont faites dans ces domaines-là. C’est une dynamique qui a démarrée il y a plusieurs années.

En effet, l’école est un lieu d’apprentissage de la vie, mais aussi, bien entendu, d’apprentissage de connaissances : le programme scolaire. Il est donc évident que si l’on comprend mieux les mécanismes par lesquels l’individu peut apprendre et raisonner, les mécanismes qui font qu’un individu va exprimer, ressentir, et réguler telle ou telle émotion, les mécanismes par lesquels un individu est capable de porter son attention soutenue sur une situation, qui vont faire qu’il va encoder une situation, la consolider, s’en rappeler, bref si l’on arrive à comprendre l’émotion et ses effets sur toute une série de mécanismes cognitifs, cela permet de collaborer avec les sciences de l’éducation et les enseignants pour réfléchir à des programmes scolaires qui sont mieux adaptés en prenant en compte la différence interindividuelle des enfants, pour optimiser les possibilités d’apprentissage des élèves. Ainsi, cela permettra de faciliter les apprentissages « classiques » tels que le programme scolaire les proposent, mais aussi pourquoi pas d’apprendre des compétences émotionnelles, telles que réguler ses émotions ou comprendre les émotions d’autrui.

L’école pourrait être un lieu dans lequel non seulement on apprend ce qui est classiquement enseigné mais aussi ce qui est important pour d’autres domaines de la société et de la vie des individus. Dans cette perspective, il me semble que les recherches qui sont faites en laboratoire, même s’il y a beaucoup de travail de terrain à faire pour essayer de voir comment est-ce que l’on pourrait les appliquer, ont un potentiel immense, il faut vraiment travailler main dans la main avec les professionnels, avec les experts dans les écoles - pédagogues qui connaissent le terrain - parce que c’est vrai que dans nos laboratoires on a nos limites, mais de ce que l’on voit dans les recherches qui sont menées, on pense vraiment qu’il y a un potentiel d’application. Quand on commence à comprendre les mécanismes psychologique et cérébraux qui sous-tendent l’apprentissage, l’attention, la mémoire, le raisonnement, le langage, la cognition sociale et les émotions, l’on se dit que l’on peut être utiles aux enseignants.

Q : Quels sont les liens internet et la bibliographie concernant le CISA et intéressant les enseignant(e)s et éducateurs/trices ?

Concernant le CISA de manière générale, le lien qui présente nos projets de recherches est le suivant :
http://www.affective-sciences.org/content/research

Une série de projets qui s’intéressent au développement des émotions, notamment dans le milieu scolaire pourrait être intéressant :
http://www.affective-sciences.org/content/emotional-development

La plupart de mes publications sont disponibles sur ce lien :

http://cms.unige.ch/fapse/EmotionLab/publications

http://cms.unige.ch/fapse/EmotionLab/books/books.html

Un membre du CISA, le Professeur Edouard Gentaz, a récemment coordonnée un numéro spécial de la revue ANAE qui est justement destiné aux enseignant(e)s et éducateurs/trices pour une première introduction :
http://anae-revue.over-blog.com/2015/12/anae-n-139-apprentissages-cognition-et-emotion.html


Ecoles

_Q : Y a-t-il des recherches, des travaux qui font vraiment le lien entre le laboratoire et le terrain éducatif (l’école, la salle de classe …) ?
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Depuis une dizaine d’années les neurosciences, et plus généralement les sciences affectives et les sciences cognitives, ont joué un rôle clé en s’associant à des experts en sciences de l’éducation pour créer des initiatives visant à développer une éducation fondée sur la preuve (« evidence-based education »). Il existe de nombreux nouveaux centres de recherches qui s’intéressent aux liens entre neurosciences, psychologie et éducation avec justement comme objectif de faire le lien entre le laboratoire et la salle de classe. Ces travaux sont publiés dans des ouvrages mais surtout dans des revues scientifiques. Cela a même conduit, en 2015, à la création d’un nouveau journal scientifique intitulé « Mind, Brain, and Education ».

La contribution des neurosciences, des sciences affectives et cognitives, vient d’une part de la réalisation de nouvelles recherches et programmes d’interventions faisant les liens entre le laboratoire et l’école, et vient d’autre part de l’utilisation des résultats et conclusions de recherches pour informer le champ de l’éducation en partenariat avec des experts en sciences de l’éducation. Les champs de telles recherches concernent aussi bien des travaux sur la lecture ou les mathématiques (voir l’article de Stanislas Dehaene ci-dessous) que sur les émotions (voir le programme RULER ci-dessous). Ces études déclenchent parfois des polémiques et il semble que pour vraiment le lien entre le laboratoire et le terrain éducatif, une étape aussi importante que rare est que les scientifiques, les experts en éducation et les enseignants (sans parler des élèves et des parents !) travaillent main dans la main pour ne pas minimiser la complexité du terrain et ses variables difficiles à contrôler en laboratoire.

Q : Quelles sont les relations pratiques qui devraient (pourraient) être établies entre les chercheurs en neurosciences et les praticiens de l’éducation ?

Il est possible de développer ensemble des projets de recherche qui vont du laboratoire à l’école. Si il y a une question de recherche très précise qui peut être appliquée au monde de l’école, il est possible de réaliser des études de laboratoire pour tester les hypothèses de la manière la plus contrôlée possible d’un point de vue de la méthodologie expérimentale, puis, étape par étape, ensemble avec les praticiens, emmener ces expériences dans les écoles, et, par des mécanismes d’intervention dans la classe, mettre en place des protocoles pour tester si l’effet que l’on a observé en laboratoire est suffisamment généralisable, fort et robuste pour qu’on puisse l’appliquer ensuite dans un programme scolaire.

Donc, une manière d’aller de l’avant concrètement est de réfléchir à un programme de recherche du laboratoire aux écoles en passant par une intervention au sein de certaines écoles. Par exemple dans le cadre du CISA, nous avons comme projet de tester les liens entre les compétences émotionnelles des élèves, les types de pédagogies et les apprentissages scolaires. L’on peut par exemple s’intéresser aux effets de la régulation des émotions, de la compréhension des propres émotions sur le bien-être des enfants mais aussi sur leurs performances scolaires.


Quelques liens :

International Mind, Brain and Education Society (IMBES)
http://www.imbes.org

Le journal « Mind, Brain and Education » http://onlinelibrary.wiley.com/journal/10.1111/(ISSN)1751-228X

Les conférences Sciences cognitives et éducation
http://eduscol.education.fr/pid26704/sciences-cognitives-et-education.html

Série de conférences en français au collège de France « L’apport des sciences cognitives à l’école : quelle formation » :
http://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/symposium-2014-2015.htm<br> http://moncerveaualecole.com

notamment :
http://moncerveaualecole.com/education-et-sciences-cognitives-le-coup-de-gueule<br> http://www3.weforum.org/docs/WEF_New_Vision_for_Education.pdf

Mind, Brain, and Education
http://www.gse.harvard.edu/masters/mbe

Emotional intelligence - RULER
http://ei.yale.edu/evidence/

Pour démarrer sur ce thème, une collection d’articles récente en Français publiée par ANAE - Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant - ANAE N° 139 - Apprentissages, cognition et émotion (Dossier coordonné par le Professeur Édouard Gentaz).
http://anae-revue.over-blog.com/2015/12/anae-n-139-apprentissages-cognition-et-emotion.html