Evaluations
Les enjeux de l’évaluation pédagogique des apprentissages des élèves
Par Lucie Mottier Lopez, Professeure associée
Photographie : © Institut Florimont
L’évaluation fait pleinement partie de l’enseignement et de l’apprentissage. Enseigner sans évaluer les apprentissages des élèves est un leurre. Apprendre sans être capable de s’autoévaluer est difficile pour ne pas dire impossible. Mais de quelle évaluation parle-t-on ? Car l’évaluation, on le sait, peut mettre aussi la pression sur les élèves, renforcer la compétition entre eux, produire des sentiments d’humiliation, servir à la sélection et déboucher sur des décrochages et de l’exclusion scolaire et sociale.
Cette rubrique s’intéresse à l’évaluation pédagogique, c’est-à-dire une évaluation qui se met d’abord et avant tout au service de l’enseignement et qui sert à soutenir et reconnaître les apprentissages des élèves. Cette évaluation représente une compétence professionnelle majeure pour les enseignant-e-s. Elle peut devenir également un enjeu d’apprentissage transversal pour les élèves quand il s’agit, pour eux, d’apprendre à s’autoévaluer et développer des stratégies d’autorégulation pour surmonter des difficultés et progresser.
Une évaluation qui se met au service de l’enseignement, c’est quand l’enseignant-e ou équipe d’enseignant-e-s évalue…
- avant d’enseigner, pour connaître les caractéristiques et besoins des élèves,
- pour planifier les contenus à enseigner et différencier les tâches à faire par les élèves, pour concevoir des projets pédagogiques adaptés,
- en cours d’enseignement, pour intervenir immédiatement auprès de l’élève, lui offrir un étayage, lui donner de nouvelles explications, décider d’une mise en commun pour faire débattre les élèves, organiser la composition de groupes collaboratifs, etc.,
- pour identifier les erreurs des élèves, s’intéresser à leurs raisonnements et stratégies d’apprentissage, diagnostiquer les difficultés rencontrées à des fins de régulation,
- en fin de séquence d’enseignement, pour savoir où en sont les élèves, faire un bilan de leurs acquisitions, reconnaître et attester leurs apprentissages,
- planifier des prolongements dans de nouvelles séquences d’enseignement, rencontrer les parents des élèves, envisager des nouveaux projets pédagogiques,
- etc.
Une évaluation qui se met au service des apprentissages de l’élève / des élèves, c’est quand l’enseignant-e ou équipe d’enseignant-e-s …
- communique aux élèves les objectifs et critères d’évaluation qui désignent les « attendus » à atteindre (le référentiel de l’évaluation),
- fournit des rétroactions (ou feedback) de qualité aux élèves à partir des propositions et réponses de ces derniers,
- ajuste l’enseignement aux caractéristiques et besoin des élèves à partir d’évaluations formelles et informelles,
- échange avec les élèves sur les différentes façons de progresser, de surmonter les difficultés, d’apprendre,
- utilise les résultats de l’évaluation pour soutenir la motivation des élèves,
- etc.
C’est aussi quand l’élève / les élèves…
- sont impliqués dans des démarches d’autoévaluation et d’évaluation par les pairs,
- s’approprient les objectifs d’apprentissage et critères d’évaluation,
- prennent conscience de leur manière de travailler et de progresser, mettent des mots sur leurs réussites, se posent des questions,
- utilisent leur autoévaluation et les feedback de l’enseignant-e pour réfléchir sur leur apprentissage et pour le consolider,
- envisagent avec l’enseignant-e des moyens de progresser pour atteindre les buts visés,
- etc.
L’évaluation, une pratique pédagogique, un processus cognitif, un outil
Sous le vocable « évaluation », des réalités multiples sont désignées :
- L’évaluation en tant que pratique pédagogique, qui a son propre langage, ses façons de faire et ses outils, dans un contexte social, institutionnel, culturel donné.
- L’évaluation en tant que processus cognitif de jugement qui consiste à attribuer une valeur à quelque chose en fonction de critères explicites ou implicites.
- L’évaluation en tant qu’outil (une évaluation = un test, une épreuve, un contrôle écrit, etc.), outil d’autoévaluation (une grille critériée, un guide d’écriture, etc.).
Différentes fonctions de l’évaluation pédagogique
Deux fonctions principales à l’évaluation des apprentissages sont distinguées depuis les années 1970 : l’évaluation formative et l’évaluation sommative. Dans la littérature francophone d’Europe, ces fonctions se sont spécialisées au cours des années : évaluations diagnostique, formative, formatrice, sommative, certificative, pronostique (voir Mottier Lopez, 2015). Dans le Dictionnaire de l’éducation, Allal (2008) définit trois fonctions principales qui toutes concourent à une finalité générale qui est celle de la régulation des processus de formation.
• « Evaluation pronostique. L’évaluation pronostique fournit des informations qui guident les décisions d’admission ou d’orientation de l’apprenant vers une nouvelle étape ou un nouveau cursus de formation. (…)
• Evaluation sommative. La fonction sommative de l’évaluation est présente lorsqu’on établit un bilan certifiant les compétences et les connaissances acquises par l’apprenant à la fin d’une étape intermédiaire (ex., semestre) ou d’une étape finale (année, cycle pluriannuel) d’un cursus de formation. (…)
• Evaluation formative. L’évaluation formative vise l’adaptation des activités d’enseignement et d’apprentissage afin de favoriser la progression des apprenants vers les objectifs de formation. » (p. 312)
Dans la littérature anglo-saxonne, une tendance actuelle est de différencier :
• L’évaluation des apprentissages
• L’évaluation pour apprendre
• L’évaluation comme apprentissage
Tiré de : http://syllabus.bostes.nsw.edu.au/english/english-k10/syllabus-assessment
L’articulation entre les différentes fonctions de l’évaluation représente un défi actuel, considérant que toutes devraient d’abord et avant tout se mettre au service des processus de formation et d’apprentissage.
Quelques enjeux actuels
L’évaluation des apprentissages des élèves représente un objet de préoccupation depuis le début du XXème siècle, avec d’abord les études connues « en docimologie ». Celles-ci ont mis en évidence des biais systématiques qui affectent les jugements des évaluateurs dans des examens à forts enjeux. Ces biais continuent de s’observer et d’être déplorés dans des études actuelles (par exemple, l’impact des stéréotypes sur les résultats des élèves), malgré des stratégies que les enseignant-e-s connaissent bien aujourd’hui : correction sans connaître le nom de l’élève quand c’est possible, correction exercice après exercice et non pas de la copie entière, double correction, etc.
Afin de mieux comprendre la persistance des influences qui agissent sur le jugement des enseignant-e-s, des recherches actuelles changent de perspective. L’évaluation n’est plus considérée à partir des modèles de la mesure comme c’est le cas des études docimologiques. « Evaluer n’est pas mesurer ». Une évaluation pédagogique de qualité repose sur un jugement professionnel situé de l’enseignant-e et de sa communauté professionnelle. L’évaluation est marquée par des normes professionnelles et éthiques qui justifient les choix opérés, y compris quand l’enseignant-e décide des ajustements qu’il-elle considère pouvoir être au bénéfice de l’élève / des élèves.
Les axes de développement pour promouvoir des pratiques innovantes sont nombreux :
- La collaboration dans l’évaluation, entre élèves et avec l’enseignant-e dans la classe, mais également entre professionnel-le-s afin de construire des cultures communes d’évaluation au sein des établissements / entre établissements ;
- Les évaluations informelles dans la classe et la qualité des feedback à des fins de soutien d’apprentissage des élèves ;
- Les liens et l’alignement entre les contenus à enseigner et apprendre et les différentes évaluations ;
- Les outils d’évaluation formative – évaluer pour apprendre – intégrés aux processus d’enseignement et d’apprentissage à des fins de régulation ;
- L’implication des élèves dans des démarches d’autoévaluation et d’évaluation entre pairs, à des fins d’apprentissage autorégulé et d’autonomisation ;
- L’articulation et l’exploitation des évaluations faites par les équipes d’enseignant-es et les épreuves externes standardisées ;
- …
Quelques références bibliographiques :
Allal, L. (2008). Evaluation des apprentissages. In A. van Zanten (Ed.), Dictionnaire de l’éducation (pp. 311-‐314). Paris : Presses Universitaires de France.
Allal, L. & Mottier Lopez, L. (2014). Teachers’ professional judgment in the context of collaborative assessment practice. In C. Wyatt-Smith, V. Klenowski & P. Colbert (Ed.), Designing Assessment for Quality Learning (pp. 151-165). London : Springer (The Enabling Power of Assessment).
Allal & L. Mottier Lopez (Ed.) (2007). Régulation des apprentissages en situation scolaire et en formation. Bruxelles : De Boeck.
Amigues, R. & Zerbato-Poudou, M.-T. (1996). Les pratiques scolaires d’apprentissage et d’évaluation. Paris : Dunod.
Antibi, A. (2003). La constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves. Toulouse : Math’Adore.
Black, P., Harrison, C., Lee, C., Marshall, B. & Wiliam, D. (2003). Assessment for Learning : Putting it into practice. Oxford, United Kingdom : Oxford University Press.
Bressoux, P. & Pansu, P. (2003). Quand les enseignants jugent leurs élèves. Paris : PUF.
Butera, F., C Buchs, C. & Darnon, C. (Ed.). (2011). L’évaluation une menace ? Paris : Presses Universitaires de France.
Hadji, C. (2015). _L’évaluation à l’école : pour la réussite de tous les élève_s. Paris : Nathan.
Hadji, C. (2012). Faut-il avoir peur de l’évaluation ? Bruxelles : De Boeck.
Klenowski, V. & Wyatt-Smith, C. (2014). _Assessment for education : standards, judgement and moderatio_n. London : SAGE publications ltd.
Lafortune, L. & Allal, L. (Ed.). (2008). Jugement professionnel en évaluation : pratiques enseignantes au Québec et à Genève. Québec : Presses de l’Université de Québec.
Merle, P. (2012). L’évaluation des élèves : une modélisation interactionniste des pratiques professorales. In L. Mottier Lopez & G. Figari (Ed.), Modélisations de l’évaluation en éducation (pp. 27-43). Bruxelles : De Boeck.
Mottier Lopez, L. (2015). Evaluations formative et certificative des apprentissages. Enjeux pour l’enseignement. Bruxelles : De Boeck.
Mottier Lopez, L. (2012). La régulation des apprentissages en classe. Bruxelles : De Boeck.
Mottier Lopez & M. Crahay (Ed.) (2009). Evaluation en tension. Entre la régulation des apprentissages et le pilotage des systèmes. Bruxelles : De Boeck.
Mottier Lopez & W. Tessaro (Ed.) (2016). Le jugement professionnel au cœur de l’évaluation et de la régulation des apprentissages. Berne : Peter Lang.
Noizet, G. & Caverni, J.-P. (1978). Psychologie de l’évaluation scolaire. Paris : Presses Universitaires de France.
Piéron, H. (1963). Examens et docimologie. Paris : Presses Universitaires de France.
Stiggins, R. J. (2005). From formative assessment to assessment FOR learning : A path to success in standards-based schools. Phi Delta Kappan, 87 (4), 324-328.
Wiliam, D. (2011). Embedded formative assessment. Bloomington, IN : Solution Tree Press.
Ressources vidéo en ligne :
« L’évaluation est une activité terriblement quotidienne, dont on ne parle jamais assez sauf pour s’en plaindre, les pratiques sont peu explicitées dans une équipe, elles restent dans une certaine intimité professionnelle alors qu’elles ont de grands effet … on passe plus de temps à évaluer qu’à apprendre... »
sur
https://www.youtube.com/watch?v=i7QUR-LXGP8
« Evaluer “pour” les apprentissages, ça marche », un parcours d’auto-formation en ligne réalisé par François Muller.
voir aussi :
http://www.francoismuller.net/#!une-evaluation-pour-les-apprentissages/c242w
« L’évaluation, c’est un dossier délicat, un sujet sensible ou épineux, un concept controversé, un enjeu qui chatouille, une boite de pandore, l’évaluation est une vraie patate chaude…qu’est-ce que cela signifie (l’évaluation) au juste ? on parfois l’impression qu’on parle d’un truc un peu sinistre, je dirais même tabou, quand on parle d’évaluation … mais l’évaluation est un outil, pas une fin en soi. Un marteau peut servir à construire ou à détruire quelque chose. Et on peut tenir le même discours quand on parle d’évaluation… »
Sur
https://www.youtube.com/watch?v=blD98SU3FEo
« L’évaluation » selon Marc-André Lalande, conseiller en pédagogie - apprentissage en ligne à la HEC de Montréal.
« Nous le savons tous, l’évaluation constitue un enjeu important dans le monde de l’éducation, d’où l’intérêt d’identifier des pratiques d’évaluation qui peuvent faire la différence … il semble en effet qu’un accroissement des pratiques d’évaluation formative produit des progrès sur le plan des apprentissages… »
Sur
https://www.youtube.com/watch?v=i8l_lrcXgiU
« L’importance du processus de régulation dans la démarche d’évaluation », programme de recherche sur la persévérance et la réussite scolaires, Education Québec.
« … il y a des contextes et ces contextes sont extrêmement importants, il faut les prendre en compte si on veut véritablement comprendre quelque chose à la performance et ne pas se contenter de considérer que la performance obtenue traduit les capacités des individus qui l’ont réalisée… »
Sur
http://www.reseau-canope.fr/innovation2014/levaluation-positive.html?tx_cndpvideoflv_pi1
« Pourquoi une évaluation positive ? », conférence de Jean-Marc Monteil, professeur au CNAM et ancien recteur.
Ainsi que …
• Conférence de Claire Bourguignon, Maître de Conférences Université Rouen : « L’évaluation des compétences des élèves : un changement de paradigme ? »
http://www.cndp.fr/crdp-dijon/Conference-L-evaluation-des.html
• Conférence de Dominique Raulin, directeur du CRDP du centre, ancien secrétaire général du conseil nationale des programmes, ESEN 23 Mars 2012 : « L’évaluation des acquis des élèves »
https://www.youtube.com/watch?v=SjwNtt-rLHg
• http://www.conference-evaluation-des-eleves.education.gouv.fr/consultez-les-expertises
• http://www.cahiers-pedagogiques.com/Dix-reproches-dix-propositions