Soupape: Global ou syllabique ?
Comment, ta fille ne sait toujours pas lire alors que mon fils qui a le même âge que ta fille lit couramment ?
J’espère au moins que son institutrice n’utilise pas la méthode globale !
Même aujourd’hui, en 2020 il ne serait pas impossible d’entendre ce genre de conversations entre deux mamans de tout jeunes enfants.
Méthode globale, méthode syllabique, méthode des Alphas, méthode babebibobu …
Non il n’y a pas de bonne méthode pour apprendre à lire. AUCUNE !
Depuis longtemps, tous les enseignants et les enseignantes le savent : apprendre à lire (et enseigner la lecture) ne consiste pas à suivre une méthode et on peut renvoyer dos à dos global et linéaire et la cohorte de soit disant “méthodes de lecture”.
Apprendre à lire est une aventure totalement différente pour chaque élève !
On ne peut pas séparer l’apprentissage de la lecture de celui de l’écriture et les élèves devraient se trouver en situation de lire et d’écrire … bien avant de “savoir” lire et écrire.
On ne peut pas dire à l’avance quels “ingrédients”, (ni dans quel ordre et dans quelles proportions) vont contribuer à un apprentissage efficace et heureux de la lecture pour un enfant particulier …et ils sont tous “particuliers” .
Tout enseignant un peu sérieux sait qu’il s’agit d’un puzzle complexe d’éléments à mettre en place par chaque élève.
Tel élève sera fasciné à l’avance par les lettres, les mots, la lecture. Tel autre en aura peur. Ce garçon sera passionné parce qu’on lui propose des choses à lire qui traitent de tel ou tel sujet, telle fille parce qu’elle veut être aimée par sa maman et par son enseignante qui semblent y apporter une grande importance, tel autre parce que lire c’est aussi “communiquer” et donc écrire, celle-ci passera plus par les illustrations qu’elle aime dans les livres, celui-là sera curieux de comprendre et de maîtriser un apprentissage aussi complexe. Un défi !
Tout au long de cette “aventure”, on découvrira les sons produits par les lettres quand on les lit et par les différents assemblages de celles-ci, mais aussi, qu’elles peuvent produire des sons différents (quand le “e” fait “a” comme dans “femme” par exemple). On découvrira aussi qu’on n’a pas besoin de “déchiffrer” les mots ou en tous les cas certains mots. On les reconnaît au premier coup d’œil (mon prénom par exemple) ça, c’est global. On découvrira qu’on peut découper les mots en petits bouts et on saura “syllaber”.
On s’apercevra très vite que si on lit ou si on écrit c’est parce qu’on veut produire ou trouver “du sens”… à quoi servirait-il donc de lire ou d’écrire si ça n’avait aucun sens ?
Certains iront plus vite que d’autres, certains liront plus que d’autres.
Et si l’important était que bien apprendre (ou enseigner) à lire et à écrire c’était aussi et surtout y prendre du plaisir, voire en faire une passion ?
Après une longue carrière d’enseignant, je suis totalement convaincu que l’apprentissage de la lecture et de l’écriture passent par la motivation à…, l’intérêt de…, la compréhension du pourquoi, l’affect, le plaisir, la richesse de l’environnement, les bons repères aux moments opportuns. (C’est l’enfant qui indique quand il prend conscience qu’il y a des syllabes dans les mots et qui nous permet alors de systématiser cet apprentissage … et pas le programme !), les temps, les lieux, et les activités propices à construire et maîtriser lecture et écriture en vivant tout le parcours comme une belle aventure. En fait le “lire et écrire” n’est pas une méthode ni un programme, c’est un environnement, un monde dans la classe orienté par la communication, la curiosité et le plaisir.
Après une très courte carrière d’élève (j’ai quitté l’école à 14 ans), je suis convaincu que la méthode syllabique pure et dure pensée comme on la pratiquait dans ces années-là, avec laquelle on a essayé vainement de me faire apprendre à lire est arrivée à me dégoûter de la lecture jusqu’à un âge adulte avancé (je me suis bien rattrapé depuis).
J’ai entendu dire que certains neuroscientifiques prétendaient “savoir scientifiquement” comment enseigner la lecture (et qu’elle est plutôt syllabique … les lettres faisant des syllabes, qui font des sons, qui font des mots, qui font des phrases, qui font quelquefois du sens … OUF !) et que c’est en regardant les petits cerveaux avec des électrodes branchées sur ces petits crânes qu’on déduit une “méthode de lecture”.
Je pense - ou j’espère - que cette information m’est parvenue tronquée ou a été formulée de façon caricaturale. Cela m’étonnerait beaucoup que de vrais chercheurs sérieux et reconnus puissent dire de telles choses et que des responsables politiques du domaine de l’éducation puissent y porter crédit.
Si c’était vrai, je craindrais que cela ne produise un bien grand nombre de mauvais lecteurs qu’on mettra au coin avec un bonnet “Dehaene”.