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Les philosophes d'aujourd'hui

Evolution ou révolution

Par Jean-Claude Brès

Un certain nombre de philosophes aujourd’hui s’expriment autour du thème de l’éducation.
Ils mettent en évidence les évolutions sociétales, ils prennent en considération les changements économiques, démographiques, politiques, technologiques…

Certains d’entre eux, parlent de “révolution” quant au rapport à la connaissance, au savoir.
Ils nous invitent à repenser nos institutions et nos pratiques.

Michel Serres

Photographie : © Institut Florimont

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À travers son livre “Petite Poucette”, Michel Serres propose des clés de lecture de notre temps, de la jeunesse pour qui “tout reste à faire”…

Optimiste patenté, Michel Serres fait confiance à la jeunesse pour façonner la nouvelle civilisation numérique, dernier avatar de l’humanité après la civilisation de l’alphabet et celle de l’imprimerie”. (Le triomphe de Michel Serres l’optimiste, L’Express, Par Emmanuel Hecht, publié le 17/05/2013 à 12:49)

“Le philosophe et académicien Michel Serres analyse les transformations à l’oeuvre dans l’éducation, et éclaire le malaise ressenti par une partie du monde enseignant.

Dans votre livre “Petite Poucette” vous dressez le portrait de l’élève d’aujourd’hui, en soulignant qu’en quarante ans, tous nos repères ont été bouleversés: démographie, sexualité, rapport au monde, famille, langage… Petite Poucette “n’habite plus le même temps, ni le même espace et n’a plus la même tête”, écrivez-vous. Quelles conséquences pour l’enseignant?

Nous vivons aujourd’hui sur les questions d’éducation, une transformation gigantesque, et cette transformation s’opère au niveau mondial ! La personne qui éduque et la personne éduquée n’est plus la même. Avec les technologies, l’être humain a changé de façon radicale. La naissance, la mort, ne sont plus la même qu’il y a quarante ans, le rapport au monde et au savoir a changé.” (Michel Serres: “Les enseignants sont totalement désorientés”, L’Express, Par Marie Caroline Missir, publié le 15/11/2013 à 19:29)

Discours de Michel Serres lors de la séance inter-académique sur le thème des nouveaux défis de l’éducation

Le mardi 1er mars 2011, s’est tenue une séance solennelle inter-académique présidée par M. Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut, sur le thème : Les nouveaux défis de l’éducation. Au cours de cette séance solennelle, M. Xavier Darcos, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, M. Pierre Léna, de l’Académie des sciences, et M. Michel Serres, de l’Académie française, ont mis en perspective la nature des problèmes en cause dans les grands champs du savoir transmis par l’éducation, et les solutions qui pourraient être apportées, au-delà des contingences politiques et des contraintes sociologiques.

Nous reproduisons ci-dessous un extrait du discours de Michel Serres lors de la séance solennelle inter-académique :

“Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites et nos projets. Nos institutions luisent d’un éclat qui ressemble, aujourd’hui, à celui des constellations dont l’astrophysique nous apprit jadis qu’elles étaient mortes déjà depuis longtemps.

Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? J’en accuse les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d’anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, comme moi, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils ne virent pas venir le contemporain. Si j’avais eu, en effet, à croquer le portrait des adultes, dont je suis, il eût été moins flatteur.

Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, non, puisque tout est à faire.

Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j’ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés."


Pour en savoir plus :

Michel Serres et Bernard Stiegler

Conférence de Michel Serres sur les nouvelles technologies lors du 40è anniversaire de l’INRIA en 2007

Conférence de Bernard Stiegler

‪Parlons d’Images Conférence #5 - Bernard Stiegler - Les écrans et la jeunesse


Edgar Morin

Edgar Morin développe dans le document publié par l’Unesco en 1999 “Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur”
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Les cécités de la connaissance : l’erreur et l’illusion;
Les principes d’une connaissance pertinente;
Enseigner la condition humaine;
Enseigner l’identité terrienne;
Affronter les incertitudes;
Enseigner la compréhension;
L’éthique du genre humain.

Suivent quelques extraits choisis dans chacun de ces titres.

1. Les cécités de la connaissance :

Il est nécessaire d’introduire et de développer dans l’enseignement l’étude des caractères cérébraux, mentaux, culturels des connaissances humaines, de ses processus et de ses modalités, des dispositions tant psychiques que culturelles qui lui font risquer l’erreur ou l’illusion.

2. Les principes d’une connaissance pertinente :

La suprématie d’une connaissance fragmentée selon les disciplines, rend souvent incapable d’opérer le lien entre les parties et les totalités et doit faire place à un mode de connaissance capable de saisir ses objets dans leurs contextes, leurs complexes, leurs ensemble.

3. Enseigner la condition humaine :

Ce chapitre indique comment il est possible à partir des disciplines actuelles, de reconnaître l’unité et la complexité humaines, en rassemblant et organisant des connaissances dispersées dans les sciences de la nature, les sciences humaines, la littérature et la philosophie et de montrer le lien indissoluble entre l’unité et la diversité de tout ce qui est humain.

4. Enseigner l’identité terrienne :

Le destin désormais planétaire du genre humain est une autre réalité clé ignoré par l’enseignement. La connaissance des développements de l’ère planétaire qui vont s’accroître dans le XXI ème siècle, et la reconnaissance de l’identité terrienne, qui sera de plus en plus indispensable pour chacun et pour tous, doivent devenir un des objets majeurs de l’enseignement.

5. Affronter les incertitudes :

Il faudrait enseigner des principes de stratégie qui permettent d’affronter les aléas, l’inattendu et l’incertain, et de modifier leur développement, en vertue des informations acquises en cours de route.
Il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes.

6. Enseigner la compréhension :

La compréhension mutuelle entre humains, aussi bien proches qu’étrangers, est désormais vitale pour que les relations humaines sortent de leur état barbare d’incompréhension.

7. L’éthique du genre humain :

A partir de cela s’esquissent les deux grandes finalités éthico-politiques du nouveau millénaire : établir une relation de contrôle mutuel entre la société et les individus, par la démocratie, accomplir l’Humanité comme communauté planétaire. L’enseignement doit contribuer, non seulement à une prise de conscience de notre Terre-Patrie, mais aussi permettre que cette conscience se traduise en une volonté de réaliser la citoyenneté terrienne.