Interview de Faiza Zenak sur l'Éducation Technologique
Dans cette interview, Faiza Zenak, co-présidente du groupe informatique au collège de Pinchat, partage sa vision sur l’évolution des compétences numériques des jeunes, l’intégration de la robotique et de l’intelligence artificielle dans l’éducation, et les initiatives innovantes mises en place par le DIP pour préparer les élèves aux défis de demain.
A l’occasion du 60ème anniversaire du collège de Pinchat, nous avons rencontré Madame Faiza Zenak, enseignante au collège Madame de Staehl, co-présidente du groupe informatique, IA et réseaux, qui traite de cinq piliers principaux.
Madame Zenak a suivi une formation en informatique à l’université dans le département linguistique et extraction de données, elle a ensuite travaillé pour la création d’une startup en cybernétique, a effectué 2 années en UIFE à Genève et à l’IFFP en complément d’enseignement.
Comment envisagez-vous l’évolution des compétences nécessaires pour les jeunes dans les 10 prochaines années ?
De façon générale, le plan d’études a été modifié récemment depuis 2019. Auparavant, nous enseignons uniquement la bureautique. Désormais on enseigne des concepts. Nous avons mis l’accent sur la culture informatique pour que les élèves comprennent l’utilité du wifi, du bluetooth, de la 4G, qu’ils sachent ce qu’est un ordinateur, quels sont les composants, à quoi servent les mots de passe et comment bien les choisir, quels sont les différents types de machines. Nous appréhendons la bureautique d’une autre manière.
Parmi les concepts que nous enseignons, nous expliquons l’importance du caractère, quels sont ses paramètres (taille, position, police), ce qu’est une page, un paragraphe, une phrase, un mot composé de caractère.
Nous enseignons également le concept de crypter et de décrypter, et quelle est son utilité, notamment en terme de sécurité.
Désormais au niveau du primaire, nous ajoutons des cours pour faire des petits programmes en utilisant Blockly et Scratch.
Quelles initiatives le DIP met-il en place pour intégrer la robotique et l’intelligence artificielle dans les programmes scolaires du canton ?
L’informatique est devenue une matière fondamentale il y a deux ans en 2023, auparavant c’était une matière interdisciplinaire. L’informatique devient à ce titre une discipline scientifique, ce qui donne des compétences solides aux élèves et prouve l’importance grandissante de l’informatique et du numérique dans la société.
A Genève, nous avons le privilège d’enseigner l’informatique dès le secondaire, plus tôt que dans les autres cantons de Suisse.
Concrètement, au collège, cela signifie davantage d’heures par semaine pour toutes les écoles du canton (5 heures par semaine).
Nous avons ajouté l’intelligence artificielle récemment pour expliquer aux enfants ce que c’est, quelle en est l’utilité et quels sont les dangers.
Comment le DIP prévoit-il d’adapter le curriculum pour inclure des formations en robotique et en intelligence artificielle ?
Cela commence par la formation des enseignants (dans le cadre du SEM, le service media image à Jonction), avec un service de formations obligatoires, et des cours spécifiques et avancés. Cela leur permet par exemple de créer des QCM avec l’IA.
Récemment, le dispositif Certify a formé les enseignants sur la cybersécurité.
Existe-t-il des partenariats avec des entreprises du secteur technologique pour développer des programmes d’apprentissage en robotique et en intelligence artificielle ?
Cela dépend des enseignant.e.s. Nous avons une certaine liberté pour participer à des concours, des ateliers ou à des projets, dans le cadre de sorties pédagogiques. J’ai par exemple participé à un concours sur Mindstorm.
Des sorties pédagogiques sont organisées régulièrement en collaboration avec l’UNIGE et l’EPFL.
Un bulletin d’information public est partagé au sein de la communauté enseignante pour leur proposer des projets et des ateliers.
Libre à chaque professeur.e d’y participer selon son intérêt. (Pour en savoir plus, voici le lien vers le dernier bulletin).
Quelles mesures sont prises pour enseigner la programmation dès le plus jeune âge ?
Dès la classe 1P, nous enseignons la programmation débranchée, pour initier à la notion de parcours (aller d’un point A à un point B, en effectuant des mouvements en avant, en tournant à droit, à gauche, en reculant…).
Nous enseignons Scratch dès le primaire. Cela permet de raconter une histoire avec un personnage (objet que l’on programme) et d’apprendre ainsi la boucle, la variable et la condition.
Au secondaire, nous enseignons le code textuel de Python avec Turtle (pour les enfants de 12 ans au cycle). Les élèves découvrent ainsi les fonctions prédéfinies, les formes géométriques (en utilisant la boucle pour faire un carré, ou les angles pour réaliser un triangle). Nous leur apprenons à définir une fonction pour pouvoir l’appeler.
Ensuite au collège, l’algorythmique et la résolution de problèmes. Par exemple, avec Python, nous leur apprenons à créer des listes et des variables, à faire des sommes factorielles (par exemple la somme de 100 premier nombres).
Comment la programmation informatique peut-elle être intégrée dans d’autres matières pour favoriser une approche interdisciplinaire ?
Nous le faisons déjà avec des échanges entre physique et informatique.
Nous utilisons également des données géographiques.
Des cours facultatifs existent pour aller plus loin et maîtriser Arduino, Minecraft server, Thymio, Thymio avancé, Thymio avec Python ou microbits cubes.
Grâce à la plateforme au SEM, nous pouvons enseigner la robotique éducative :
- Au primaire : Sphero et Thymio
- Au secondaire : Mindstorm, Minecraft, Arduino, Raspberry Pi.
Les cours durent en général 2 h par semaine, le matin ou le midi. Il est possible ensuite de participer à des concours inter-cycle ouverts aux écoles publiques et aux écoles privées du canton.
Le SEM définit les modalités de concours didactiques
Quelles actions sont entreprises pour sensibiliser aux enjeux de la cyber-sécurité ?
Il existe des actions concrète comme l’initiative Certify et son colloque pour les enseignants. Le contenu indique aux enseignants comme ne pas faire peur tout en développant une logique critique. L’intention est de développer chez les élèves leur sens critique tout en évitant toute forme de paranoïa.
Nous sensibilisons sur les aspects de désinformation et sur l’importance de la confiance dans le message et dans le messager.
Le DIP prévoit-il des formations spécifiques en cybersécurité pour les élèves ?
Oui, le cours Média, Image et Informatique pour les élèves devient obligatoire et ils sont désormais évalués avec des notes.
Une formation avancée est également proposée à partir de 12 ans, cela permet de découvrir de nouvelles informations sur les réseaux, la culture générale du numérique, le serveur et le client ou le firewall.
Au collège, ils découvrent l’adressage IP, le routage, les URLs et les DNS.
En secondaire 2, ils découvrent l’IP v6.
Les élèves ne sont pas formés à la création de site web faute de temps.
En terme d’operating system, il est possible d’enseigner sur IOS, Windows ou Linux, selon les préférences et les habitudes des élèves.
Une « salle Mac » est disponible sur réservation.
Comment le DIP identifie-t-il les métiers de demain et adapte-t-il l’éducation en conséquence ?
Cela repose principalement sur la recherche des enseignants et sur le plan d’étude qui vient d’être mis à jour. Il permet une certaine liberté de donner le cours comme on le souhaite, tout en restant dans le cadre de la régulation de l’enseignement à l’intérieur de l’école.
Dans les grandes lignes, nous cherchons à réaliser les mêmes choses plus jeune.
Pour chaque école, un professeur représente son établissement, en tant que responsable de groupe (RG) au sein des rencontres, concours et colloques en « inter-écoles ». Cela permet de partager les efforts de veille, car ce sont des sujets qui changent rapidement et constamment.
Nous constatons que les enfants sont forts avec leur smartphones mais moins habiles avec les ordinateurs.
Les banques ont des besoins de compétences en data analytics et en Python.
L’informatique touche toutes les disciplines, pas uniquement les sciences. Nous pouvons citer les langues et le français, le droit (avec les moteurs de recherche).
Quelles compétences non techniques (« soft-skills ») jugez-vous essentielles pour les métiers du futur et comment sont-elles intégrées dans le cursus ?
Dans le cours de deuxième année, nous enseignons les bases de données et SQL. Nous insistons sur l’importance de bien écouter les clients et sur la nécessité de bien interpréter leurs besoins dans la construction des requêtes.
Nous leur enseignons à avoir un esprit critique dans leur recherche d’information et à tester la validité de la source. Nous leur montrons Scolab et la plateforme Wikipedia.
L’apprentissage de l’IA fait partie de la culture générale en deuxième année. C’est un débat, nous expliquons les limites (notamment les problèmes de plagiat) et nous leur montrons de nombreux exemples de ce que l’IA peut réaliser pour elles et pour eux.
Nous leur apprenons à travailler avec l’IA comme moteur de recherche (en expliquant les avantages et les inconvénients), nous leur montrons comment utiliser l’IA pour la mise en page, avec les macros dans PowerPoint. Nous leur enseignons les prompts pour générer une macro.
Nous utilisons uniquement les versions gratuites d’IA.
Quels critères utilisez-vous pour évaluer l’efficacité des programmes liés aux compétences du futur ?
Nous n’évaluons plus la mémorisation des connaissances et nous ne sanctionnons plus les fautes d’orthographe ou le style.
Les choses ont changé pour l’évaluation des compétences.
Nous évaluons désormais la capacité d’analyse. Nous pouvons demander aux élèves de nous envoyer une macro à la fin du cours. Nous pouvons leur demander de nous raconter des situations dans lesquelles l’IA est utile.
Nous leur demandons d’utiliser des IA génératives comme ChatGPT pour soigner le style et corriger les fautes.
Comment le DIP prend-il en compte les retours d’enseignants et des élèves pour améliorer les programmes éducatifs liés à ces compétences ?
C’est encore nouveau et récent.
Il y a eu un débat pour savoir qui était la meilleure personne pour donner les cours sur l’IA.
Est-ce plutôt le maître de classe ou le professeur d’informatique ?
Nous avons insisté sur l’importance d’éviter le plagiat, nous avons défini des règles et créé une charte pour l’utilisation de l’AI dans tous les établissements du DIP.
Dans ce contexte en évolution rapide, nous pouvons compter sur le soutien et la compréhension de notre directeur, Monsieur Alain Basset. La direction nous donne les moyens d’innover, est sensible à l’informatique et au numérique et en fait une des priorités du 60 ème anniversaire de Pinchat que nous célèbrerons le 14 Juin 2025 avec une magnifique fête à venir.
Quelle est votre vision à long terme pour l’éducation ?
Ma vision du futur, c’est que toutes les disciplines utilisent l’informatique. Nous perdons actuellement beaucoup de temps dans l’utilisation d’outils et nous n’avons pas assez de temps pour trouver des sujets intéressants.
C’est pour cela que j’encourage vivement les élèves à participer aux cours facultatifs (COURFAC), notamment ceux sur Minecraft et sur la programmation.
Cette vision du futur se réalise déjà. J’ai notamment l’exemple d’un élève qui a suivi le parcours complet (courfac, concours, option robotique, projet de fin d’études, projet d’IA et de musique).
Agé seulement de 17 ans, il nous a produit un travail largement comparable à un niveau de Bachelor, dans un projet de simulateur pour le son en utilisant l’IA.
A titre personnel, je m’intéresse à l’automatisation des tâches au sein des directions d’école, en utilisant le nocode.