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Un problème, cette résolution de problèmes?

Par Christine Del Notaro, Chargée dʹenseignement en didactique des mathématiques à lʹUniversité de Genève

Tout dépend des intentions que l’on y met !

Derrière le vocable problème se cachent à la fois plusieurs définitions – que nous allons tenter de préciser afin de donner des pistes aux enseignants parfois empruntés par la question de la mise en œuvre de problèmes de toutes sortes – et une question d’ordre épistémologique, à savoir : comment pense-t-on que les élèves apprennent.

Il y a donc deux axes de discussion : les types de problèmes selon l’intention didactique du professeur et la question de la posture, qui détermine la mise en œuvre des problèmes en classe.

Tout d’abord, pour qu’un élève fasse des mathématiques, il faut qu’il se pose une question… Pas si simple, car il ne s’agit pas de résoudre un exercice d’application, mais au contraire, de démêler un problème qui titille, questionne, surprend, bref, qui rencontre l’intérêt. On comprend donc immédiatement que cela suppose une appropriation du problème par l’élève pour qu’il y mette du sens et puisse le résoudre selon ses propres représentations. Nous évoquons ici la posture épistémologique du professeur, puisque cela va déterminer son enseignement. La didactique des mathématiques soutient que l’élève construit son savoir par l’expérimentation de ses connaissances et non par un enseignement transmissif dans lequel tout lui est donné d’emblée.

Trois chercheurs français, pères fondateurs de la didactique des mathématiques, ont apporté un éclairage déterminant. Guy Brousseau (Théorie des Situations Didactiques), est l’un des premiers à avoir tenté de renverser les conceptions. Il postulait en effet que le sens d’un problème présidait à la structure mathématique, ce qui venait bousculer les théories en vigueur dans les années 70. Dans l’exemple de l’enseignement de la numération, on se souvient des regroupements en différentes bases, qui permettaient aux élèves de manipuler des « petits groupes, grands groupes et tout grands groupes » à foison, sans pour autant comprendre le système de numération en base 10 ! Il en est ressorti que de travailler la structure de la numération (par exemple, les différentes bases) ne donnait pas forcément accès au sens.

Issue de la théorie des situations de Brousseau, nous pouvons mettre en évidence la notion de situation-problème, dans laquelle le problème évoqué est lié au savoir que l’on veut faire découvrir aux élèves : la situation met en scène la notion que l’élève aura à découvrir pour pouvoir résoudre son problème. Prenons l’exemple d’une tâche emblématique de la théorie des situations, connue par ailleurs en tant que jeu de Nim, la Course à 20. Dans cette tâche, la division s’impose comme la connaissance efficace, en alternative aux soustractions successives ; on dira que le savoir caché est la division, comme nous allons le voir.

Une situation se décline en cinq moments-clé. En premier lieu, Brousseau décrit une situation de dévolution de la tâche à l’élève, c’est-à-dire que le professeur va donner l’énoncé sans en divulguer les subtilités, ni, a fortiori, en donner des pistes de résolution. S’en suivent trois situations dialectiques (action, formulation, validation) qui sont des situations adidactiques, durant lesquelles le professeur n’a pas d’intention d’enseignement : il va recourir à des relances ou proposer des variables didactiques, mais ne donnera en aucun cas des pistes de réflexion. L’élève va construire ses connaissances en interaction avec ses pairs et un milieu, dans une situation de communication. La situation d’action permet à l’élève d’entrer dans la tâche en expérimentant, tâtonnant, se trompant, puis recommençant ; elle est nécessaire pour que l’élève puisse se forger une représentation. L’élève va devoir effectuer la tâche en élaborant une connaissance outil, en contexte, qui lui permette d’agir, de prévoir, de décider. La solution sera la connaissance visée.

La situation de formulation est le moment où les élèves vont échanger leurs stratégies et formuler des éléments de solution, échanger des informations et élaborer un code. Ces espaces de discussion sont fondamentaux car les élèves construisent leurs connaissances en interaction avec autrui. Ce sont des situations au cours desquelles il existe une « vraie » communication, qui soit une nécessité de la tâche.

La troisième situation adidactique, la validation, est le temps où l’on tente de convaincre, de prouver que l’on a raison et d’élaborer une vérité collectivement. Quant à l’institutionnalisation, il s’agit pour l’enseignant de donner un statut social et scientifique à la connaissance, de fixer les conventions, les notations et de pointer ce qu’il faut retenir.

Enoncé de la course à 20 : « il s’agit, pour chacun des adversaires, de réussir à dire “20” en ajoutant 1 ou 2 au nombre dit par l’autre ». Cette tâche a pour but chez les plus grands élèves (11-12 ans), de revoir la division avec un sens de l’opération différent. L’algorithme de la division sera la stratégie experte permettant de trouver le résultat à coup sûr. C’est plus qu’un jeu de raisonnement car il faut comprendre l’algorithme sous-jacent (division ou soustractions successives). Cela peut représenter un grand pas pour certains, de passer de l’utilisation de la soustraction à la division comme algorithme efficace.

Les variables didactiques peuvent être, par exemple, de faire varier le nombre cible (20) et/ou le-s nombre-s à ajouter au nombre de l’autre. Quelles sont les incidences d’un changement de variable ? Si l’on considère que pour trouver les nombres gagnants d’une course à 20, en ajoutant 1 ou 2 au nombre dit par l’adversaire, le calcul à effectuer pour trouver les nombres gagnants 2-5-8-11-14-17-20 est la soustraction ou la division (20-3-3-3-3-3… ou 20 /3 = 6, reste 2, 2+3+3+3…), on comprendra qu’un changement de variable va induire des stratégies différentes. Ici, il faut être celui qui commence et dire 2, puis ajouter 3 à chaque fois, indépendamment de ce que dit l’adversaire pour être sûr de gagner.

Changeons l’énoncé de peu et disons qu’il faut arriver à 30 pour gagner ; quels seront les nombres gagnants ? 30/3 = 10, reste 0. Comment interpréter le reste de 0 ? Deux possibilités s’offrent : soit on considère le 0 et on dit qu’il faut être celui qui commence et dire 0 puis ajouter 3 à chaque fois (ce qui permet d’arriver à 30) soit on n’admet pas le 0, mais alors il ne faut pas être celui qui commence et dire, en deuxième position, les multiples de 3, indépendamment de ce que dit le partenaire. Au terme de plusieurs essais, les élèves formulent une stratégie entre pairs, puis la valident en prouvant ce qu’ils avancent. On voit bien ici le potentiel d’apprentissage à travers ce type de situation ; c’est l’élève qui construit ses connaissances.

Tout ceci est esquissé bien rapidement dans ces quelques lignes et pour en attraper le sens plein et s’imprégner de cette théorie subtile, on peut se référer à l’ouvrage « Théorie des Situations Didactiques » cité en marge.

Dans la filiation de Brousseau, un courant de l’IREM de Lyon en 1991 a mis en évidence un autre type de problème, le problème ouvert. Depuis, cette terminologie a évolué et l’on parlera également de démarches d’investigation ou de problèmes pour chercher. Leur particularité est que l’élève doit pouvoir entrer facilement dans le problème (énoncé court, dans un domaine familier) par le biais de ce qui l’intéresse le plus ; il n’y a pas forcément de connaissance nouvelle à acquérir, même si cela peut être le cas individuellement. Ces problèmes peuvent donc servir de point de départ à l’enseignant pour une évaluation diagnostique : où en sont mes élèves ? Qu’est-ce qui les intrigue ? Etc. On parlera de technique pédagogique visant à mettre l’élève en situation de faire des maths à la manière d’un mathématicien, avec ce que cela comporte d’essais, d’erreurs, d’ignorance à accepter mais également de satisfaction à découvrir une loi par exemple.

Prenons pour exemple ici, le partage du carré, problème également populaire et présent dans beaucoup de manuels. Pour des élèves de 10 ans, l’énoncé peut être : « Partage un carré en carrés, mais pas plus de 20. Cherche le plus possible de solutions. » Il s’agit ici d’une recherche qui peut être bien diversifiée pour les élèves qui commenceront à chercher chacun à leur niveau. Pour les plus avancés, on pourra faire varier l’énoncé et enlever la contrainte de « pas plus de 20 », afin de laisser ouverte la possibilité d’une recherche plus conséquente. Une relance possible en cas de blocage des élèves serait de demander si l’on peut partager un carré en 6 ou s’il y a des nombres impossibles ? », etc. ; cette dernière question les amenènera à travailler sur les puissances de 2 ou pas, mais l’on voit que la recherche peut se personnaliser.

Gérard Vergnaud, psychologue et didacticien des mathématiques, a mis en lumière quant à lui, l’importance du calcul relationnel vs le calcul numérique dans les énoncés de problèmes additifs. La compréhension des relations contenues dans un énoncé rend sa résolution plus ou moins difficile ; c’est l’aspect psychogénétique qui est pris en compte, pour déterminer la difficulté plus ou moins grande des relations contenues dans un énoncé, en fonction de l’âge des élèves. Pour un élève de dix ans, par exemple, il est complexe de devoir associer une soustraction à une relation qui évoque une addition : « Jean a 15 billes, il en a 3 de plus que Paul, combien de billes a Paul ? » Ainsi, un problème additif augmente-t-il en difficulté de manière significative aussitôt que l’on introduit un mouvement dynamique : « Paul a 3 billes et Jean 2, combien ont-ils de billes en tout ? » est un problème beaucoup moins complexe d’un point de vue psychogénétique que « Paul a perdu 3 billes en jouant une partie contre Léa, il en a maintenant 5, combien Paul avait-il de billes ? » ou, encore plus complexe « Paul a joué deux parties de billes. Il a perdu 3 billes à la première puis joue une deuxième partie. Il a perdu en tout 5 billes. Combien de billes a-t-il perdu à la deuxième partie ? »

La résolution de problèmes recouvre donc minimalement trois axes : les situations-problèmes, les problèmes ouverts et les problèmes additifs, qui sont autant de sources pour diversifier l’enseignement en fonction de ses intentions didactiques.

Christine Del Notaro

christine.delnotaro{at}unige.ch